Ce projet s’articule autour du concept de pluralisme juridique - un terme utilisé pour désigner l’existence d’au moins deux ordres légaux normatifs opérant en parallèle et gouvernant le même sujet. Le pluralisme juridique est commun dans les société africaines, notamment parce que le passé colonial du continent a occasionné le chevauchement de différent systèmes normatifs, créant la nécessité constante d’un dialogue et d’une négociation entre ces systèmes. Le pluralisme juridique naît à la fois de la nécessité de promouvoir le droit des communautés autochtones à l’autodétermination et de la reconnaissance du fait que les normes et les valeurs autochtones font encore partie du système juridique dans presque tous les États post-coloniaux (post-apartheid). Qui plus est, il est important de favoriser les interactions positives entre de multiples ordres normatifs et de créer, dès que cela est possible, des systèmes légaux hybrides qui sont légitimes aux yeux de segments importants de la société. La quête continue des communautés autochtones pour la reconnaissance de leur héritage juridique et la tension générée par les incohérences entre les systèmes normatifs non-étatiques et les lois officielles de l’État démontrent la fragilité des systèmes juridiques dominants, qui ignorent le rôle que les normes autochtones ont à jouer dans l’appréciation et le respect du système juridique par certains individus.
Les recherches conduites dans le cadre de ce projet visent à revisiter l’état actuel de la reconnaissance du droit coutumier dans l’Afrique du Sud, via une analyse de la réglementation de quelques champs clefs tels que les pratiques culturelles, le droit de la famille et le droit de propriété en Afrique du Sud, Botswana and Zambie. L’objectif de la recherche est d’explorer les paramètres de la reconnaissance du droit coutumier dans les pays visés et la relation entre le droit étatique et le droit autochtone (droit coutumier) dans des domaines spécifiques tels que la contraction et la dissolution des mariages, la succession, les pratiques culturelles stigmatisées et le régime foncier coutumier. Elle vise donc à étudier les lois coutumières qui gouvernent actuellement ces domaines, les conflits entre ces lois coutumières et le droit étatique, leurs conséquences et les approches pour régler lesdits conflits. L’objectif final est d’identifier les processus inter-normatifs formels et informels qui sont mis en place autant par l’État que par des acteurs locaux pour réduire l’occurence des conflits juridiques et politiques causés par le pluralisme juridique. À cet égard, ce projet de recherche explore les liens positifs et négatifs entre le droit coutumier d’aujourd’hui et les lois formelles pertinentes. Le projet se divise en quatre études de cas présentées ci-dessous.
Il y a consensus sur l’idée que la Zambie doit changer le cadre constitutionnel qui règlemente les mariages coutumiers. Le gouvernement s’est montré réticent à l’idée d’adopter soit une nouvelle Constitution transformatrice, soit une législation compréhensible réglementant les mariages contractés selon le droit coutumier. Cette recherche étudie comment cette stagnation affecte la reconnaissance, le statut et les conséquences des mariages coutumiers, et considère de quelle façon le droit coutumier a évolué afin de répondre aux défis auxquels doivent faire face les épouses dans ces mariages. Alors que le pays a adopté des lois réglementant certains aspects spécifiques du mariage tels que sa légitimité, la pension alimentaire, et la dissolution des mariages, il est important d’examiner la réciprocité entre ces lois formelles et les pratiques « réelles » observées par les personnes vivant sous le droit coutumier. À cette fin, cette recherche vise à examiner la taxonomie des interactions entre l’ordre juridique normatif établi par les lois étatiques et les normes coutumières gouvernant la formation et les conséquences des mariages coutumiers. Il s’agit d’un travail important puisque très peu de chercheurs se sont déplacés dans les communautés visées afin d’étudier l’état des lois coutumières encadrant le mariage et la nature de leur relation avec la Constitution et d’autres législations.
La réalité et la continuité des interactions entre le droit coutumier et le droit étatique sont évidentes dans le contexte du système coutumier de régime foncier du Botswana. La propriété foncière coutumière au Botswana n’est pas seulement réglementée par le droit coutumier, mais aussi par le droit étatique et la version codifiée (officielle) du droit coutumier qui ne peut plus être obtenue dans certaines régions du pays. Avant la domination coloniale britannique, la propriété foncière était largement communautaire et les terres appartenaient aux communautés tribales, pas aux individus. Dans une large mesure, les terres étaient possédées par les chefs, mais leurs pouvoirs étaient limités et n’étaient pas équivalents au droit de propriétaire comme l’entend la common law.
Les pouvoirs du chef étaient équivalent à ceux d’un administrateur détenant le terrain pour la tribu. Ces règles ont changé au fil du temps, notamment à cause de la réglementation législative du régime foncier coutumier au Botswana. En 1970, le Parlement a cherché à amener la prévisibilité au régime foncier coutumier en adoptant la Tribal Land Act. Toutefois, la nature exacte des interactions existantes entre la Tribal Land Act et les pratiques coutumières en matière de régime foncier demeurent incertaines et contestées. Dans ce contexte, il est important d’étudier les interactions qui existent entre le régime foncier coutumier et les dispositions légales régissant la propriété des terres tribales au Botswana. Cette recherche visa à combler le fossé entre les dispositions légales de la Tribal Land Act et les réalités vécues par les individus qui possèdent des terres selon les principes du régime foncier coutumier.
En Afrique du Sud, le pluralisme juridique est une doctrine populaire qui se manifeste principalement dans les domaines du droit privés, le mariage, le divorce, et d’autres aspects liés à ceux-ci. Les mariages coutumiers, incluant leur dissolution, sont aujourd’hui réglementés en grande partie par la Recognition of Customary Marriages Act (ci-après la Recognition Act). Cette loi symbolise la tentative de l’Afrique du Sud de réglementer plusieurs aspects des mariages coutumiers et d’assurer une protection constitutionnelle aux femmes mariées sous le droit coutumiers, qui sont vulnérables.
Les changements principaux amenés par cette loi sont, entre autres, la nécessité d’enregistrer tous les mariages coutumiers, la codification de la rupture irrémédiable du mariage comme la base principale sur laquelle les mariages coutumiers peuvent être dissous et l’exigence selon laquelle un mariage coutumier ne peut être dissous que par une High Court ou une autre Cour de statut similaire. Toutefois, un débat existe à savoir si la Recognition Act améliore réellement la situation des femmes mariées selon le droit coutumier. Cette recherche étudie la nature et mesure des interactions existantes entre les dispositions de la Recognition Act et les pratiques réelles qui gouvernement la dissolution des mariages coutumiers. Elle vise à examiner les opinions des individus à propos des dispositions de la loi en question afin de déterminer si la majeure partie des unions sont dissolues en accord avec celles-ci. La recherche se base principalement sur l’analyse socio-juridique récemment conduite par la DST/NRF Chair in Customary Law, Indigenous Values and Human Rights sur les mariages
Cette recherche sera menée dans un cadre de collaboration entre la Chair in Customary Law et le National House of Traditional Leaders en Afrique du Sud. Le projet étudie le statut social et juridique de plusieurs pratiques culturelles exceptionnelles. Certaines de ces pratiques comprennent les pratiques d'initiation pour les garçons et les jeunes hommes, l'inspection de la virginité des filles, ukuthwala, ukungena et la polygamie. Le débat se poursuit pour savoir si ces pratiques culturelles sont nuisibles. D'une part, les promoteurs de ces pratiques les considèrent comme une partie intégrante de l'identité des communautés à qui ils adhèrent et qui pratiquent le droit coutumier en Afrique du Sud. D'autre part, les défenseurs de la réforme du droit coutumier considèrent ces pratiques comme un symbole du patriarcat et de la domination des membres les plus faibles des groupes de parenté, en particulier les femmes et les enfants, par ceux qui ont des pouvoirs de décision dans la famille et dans la société en général.
La question de savoir si certaines pratiques culturelles sont nuisibles ou bénéfiques est évidemment subjective et, dans une grande mesure, dépend de l'orientation et de l'attitude de l'individu, l'éducation, membre/étranger du groupe et le degré de changement social et culturel auquel la personne est exposée. Bien que ces facteurs soient importants, la question de savoir si une pratique est nuisible dépend en fin de compte, du point de vue positiviste, de la façon dont cette pratique, en termes purement objectifs, est mesurée avec les normes et les valeurs constitutionnelles. Pourtant, une approche plus pluraliste pourrait définir le test décisif différemment sur la base des valeurs traditionnelles autochtones et les principes crus et suivis par les personnes qui effectuent les pratiques culturelles spécifiques.
Cette étude vise à étudier le contenu et la signification des pratiques culturelles sélectionnées sous la perspective d’une législation pertinente, de la Constitution et des représentations de la communauté des mêmes pratiques. Elle explore l'interaction entre les lois formelles régissant l'exercice des pratiques culturelles et la façon dont les membres de la communauté évaluent les pratiques identifiées par les autres (ou la loi) comme nuisibles. En d’autres termes, la recherche vise à expliquer la nature et la portée, du point de vue des membres ordinaires de la communauté et des chefs traditionnels, de chacune des pratiques jugées nuisibles ; d'identifier et d’enregistrer les accords et les désaccords au sujet de la nature des pratiques ; d’identifier le contenu, la signification et la compatibilité / incompatibilité des pratiques culturelles avec la Constitution ; et d'étudier les moyens de réunir les définitions conflictuelles et les distorsions des perspectives sur les pratiques culturelles jugées néfastes. De cette façon, la recherche vise à identifier les moyens de concilier les pratiques culturelles supposées néfastes avec la Constitution, le cas échéant, ainsi que d’examiner la pertinence du contenu de la législation existante en ce qui concerne les perceptions de la communauté de ces pratiques.
Les pratiques culturelles traditionnelles seront évaluées à la lumière des représentations de la communauté et la compréhension des valeurs constitutionnelles. L'importance de la participation communautaire découle de la nature changeante des pratiques coutumières et du droit des communautés culturelles à modifier leurs lois coutumières dans les limites de la Constitution. En général, les communautés ont le droit de définir le contenu de leur droit coutumier vivant. Ce droit est renforcé par la Constitution qui confère aux communautés qui adhèrent à et pratiquent le droit coutumier le droit de participer à des pratiques culturelles de leur choix. Ces communautés sont donc au cœur de la production de connaissances relatives à leurs coutumes et pratiques. Par conséquent, s’engager avec ces dernières pour l'évaluation de leur propre pratique culturelle est une étape importante vers la manifestation de pratiques culturelles vivantes.
Ce projet de recherche constitue la thèse d’une jeune doctorante impliquée dans le projet. La thèse examine comment les domaines du droit coutumier sont actuellement administrés après quelques interventions judiciaires et législatives en Afrique du Sud. La thèse examine comment les individus utilisent une combinaison du droit Étatique et du droit non étatique dans l'administration des successions et identifie les facteurs qui favorisent (empêchent) la réalisation des droits.