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État et cultures juridiques autochtones: un droit en quête de légitimité
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Les codes éthiques et les contrats comme moyens d’organisation des échanges entre la communauté scientifique et les communautés autochtones en Polynésie française

Date de publication:le 16 juillet à 08:15
Auteur: Thomas Burelli

Les connaissances traditionnelles en lien avec l’environnement, détenues par les communautés autochtones, constituent un patrimoine immatériel à la convergence de multiples intérêts. Ces savoirs représentent d’abord un patrimoine d’une importance considérable pour les communautés autochtones dans le cadre de l’expression de leur identité et de la préservation de leurs modèles culturels. Ils sont aussi bien souvent indispensables à la survie matérielle des communautés. Ils intéressent également les scientifiques en raison des possibilités de valorisation notamment dans les secteurs cosmétiques et pharmacologiques.

Ainsi, dans le cadre de la circulation des savoirs traditionnels, la communauté scientifique et les communautés autochtones sont amenées à interagir au sein d’espaces interculturels ou zones de contact : “in which rival normative ideas, knowledges, power forms, symbolic universes and agencies meet in unequal conditions and resist, reject, assimilate, imitate, subvert each other, giving rise to hybrid legal and political constellations in which the inequality of exchanges are traceable” (Santos, 2002). Dans le cadre de la circulation des savoirs traditionnels, les visions des chercheurs et des détenteurs de savoirs s’affrontent en particulier à propos de la propriété des savoirs traditionnels, du contrôle de leur utilisation et de leur statut vis-à-vis des savoirs scientifiques.

D’un point de vue juridique, le droit international et le droit français n’offrent que très peu de directives et d’outils mobilisables par ces communautés pour l’organisation de leurs relations et l’échange de savoirs. En effet, bien qu’il soit possible d’observer un changement de paradigme en droit international au travers de nombreuses conventions et déclarations quant à la protection des savoirs traditionnels, les principes reconnus au niveau international requièrent pour la plupart des mesures de mise en œuvre étatiques. Or, à l’image de nombreux États, la France n’a jusqu’à présent adopté aucune mesure pour la protection des savoirs traditionnels.

Comment interpréter cette situation pour les chercheurs et les communautés autochtones ? Pour les premiers, non tenus de respecter d’un point de vue juridique les principes internationaux, s’agit-il d’une invitation à l’immobilisme et la perpétuation de modes de collaboration avec les communautés pouvant conduire à des situations d’usages abusifs en raison notamment de l’absence de consentement libre et éclairé et de partage des avantages ? En ce qui concerne les communautés autochtones, sont-elles tenues d’attendre la réforme du droit national pour voir enfin les principes de droit international mis en œuvre et leurs relations avec les chercheurs évoluer ?

La tentation de l’immobilisme et du statu quo

Dans le cadre de notre mission de terrain effectuée au cours des mois de mars et avril 2014 en Polynésie française, nous avons eu l’occasion d’échanger avec des chercheurs et des membres de communautés locales polynésiennes. Nous avons abordé avec eu le contexte légal de la reconnaissance et de la protection des savoirs traditionnels, caractérisé par l’absence d’obligations pour les utilisateurs de savoirs et l’absence de dispositif légal ou réglementaire de protection pour les détenteurs de savoirs.

Au cours d’ateliers de réflexion nous avons alors abordé la question des stratégies disponibles et envisageables en Polynésie française afin d’organiser les relations entre les chercheurs et les communautés autochtones et de tendre vers des rapports équilibrés. Dans un premier temps, nous avons laissé nos interlocuteurs proposer les stratégies envisageables selon eux. Il est ressorti de ces réflexions, tant pour les chercheurs que pour les membres des communautés locales rencontrés, un sentiment d’impuissance et d’incapacité face à l’inaction de l’État. Il ne serait pas possible ou trop complexe d’agir en l’absence de normes étatiques et dans l’attente, les acteurs de la société civile seraient tenus à l’immobilisme et au statu quo.

De la responsabilité et de la capacité d’agir des acteurs de la société civile

Notre tâche a alors consisté à mettre en lumière au contraire la responsabilité et la capacité d’agir des acteurs de la société civile. Nous avons d’abord exposé l’ampleur du changement de paradigme en droit international dans le champ de la protection des savoirs traditionnels. Nous avons également présenté le rôle crucial que jouent les chercheurs pour la divulgation des savoirs traditionnels dans leurs travaux et donc à ce titre leur responsabilité particulière au regard d’usages abusifs (Bannister, 2001).

Afin de mettre en évidence la capacité d’agir des chercheurs et des communautés autochtones, nous nous sommes appuyés sur les nombreuses expériences et pratiques observables au Canada, et en particulier sur les cadres éthiques universitaires et autochtones ainsi que sur les nombreuses pratiques contractuelles.

Nous avons montré au cours de plusieurs séminaires la diversité des approches et stratégies développées au Canada ainsi que leurs forces et faiblesses. Ces présentations et la circulation des documents ont permis aux participants de prendre conscience de leur capacité à produire de la normativité dans le domaine de l’encadrement de la circulation des savoirs des savoirs traditionnels.

L’organisation d’ateliers de création d’outils d’encadrement

À la suite des séminaires de sensibilisation, nous avons été sollicités par certains acteurs afin d’animer des ateliers de création d’outils d’encadrement des projets de recherche impliquant les communautés autochtones et leur patrimoine culturel immatériel.

Nous avons alors tenu des ateliers de création de codes éthiques pour le laboratoire du Criobe-CNRS (Centre de Recherche Insulaire et Observatoire de l’Environnement – Centre National de la Recherche Scientifique) basé à Moorea, le Service de la Culture et du Patrimoine de la Polynésie française et pour l’association locale « Te Pu ‘Attiti’a » de Moorea regroupant des tradipraticiens et des sachants polynésiens.

Au cours de ces ateliers, nous avons présenté une synthèse des cadres observables notamment au Canada ainsi que les principaux enjeux et rubriques abordés par ces cadres. Nous avons alors laissé les participants s’exprimer et décider des manières de répondre à ces enjeux selon leurs attentes et besoins. Dans le cas de l’association Te Pu ‘Attiti’a , il faut souligner que les membres de l’association se sont totalement appropriés le processus de création d’un code éthique, et suite à notre présentation ont mené l’ensemble des réflexions et des débats en tahitien. Enfin, à la demande de chercheurs de l’Université de la Polynésie française, nous avons développé un formulaire de consentement utilisé aujourd’hui dans le cadre de recherches ethnobotaniques.

À ce jour, le projet de code éthique du Criobe-CNRS est en cours de validation finale par les autorités du CNRS et devrait être prochainement annexé au règlement intérieur du laboratoire et donc devenir obligatoire pour les chercheurs du Criobe-CNRS. Les projets de codes éthiques du Service de la Culture et du Patrimoine et de l’association Te Pu ‘Attiti’a sont toujours en cours de développement.

Les cadres éthiques et les contrats comme outils disponibles pour l’organisation du pluralisme juridique entre les chercheurs et les communautés autochtones

Notre mission de terrain a été l’occasion de jeter des ponts entre les expériences canadiennes et françaises. En l’occurrence, les expériences canadiennes ont permis de mettre en lumière la capacité des acteurs de la société civile à produire de la normativité dans le champ de la recherche et de l’encadrement de la circulation des savoirs traditionnels.

Cette mission nous aura également permis d’approfondir nos réflexions sur le potentiel des cadres éthiques et des pratiques contractuelles pour organiser le pluralisme juridique propre aux relations entre les chercheurs et les communautés autochtones. En effet au travers de ces instruments, les acteurs concernés tracent eux-mêmes les frontières (non sans conflits potentiels) de la reconnaissance des ordres juridiques en contact.

Si les cadres éthiques et les pratiques contractuelles ont été mis en avant dans le cadre de cette mission, il est important de souligner qu’il s’agit de stratégies mobilisables parmi d’autres. De plus, qu’importe la stratégie envisagée, il est bon de se souvenir de l’enseignement d’Etienne Le Roy qui rappelle que le « droit n’est pas tant ce qu’en disent les textes que ce qu’en font les citoyens ». Ainsi, au-delà des forces et faiblesses théoriques des codes éthiques et contrats, leur succès ou leur échec dépend avant tout des manières dont les acteurs de la société civile décident de s’en saisir.

Pour aller plus loin :

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